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(Article publié) Ma rencontre avec Arthur Rimbaud : Témoignage d'une jeune rimbaldienne chinoise

Mon article a été publié dans le numéro 60 de la revue Rimbaud vivant de

l'association internationale des Amis de Rimbaud, sous le nom de Melody

Xu Yang.

Une petite correction d'orthographe a été faite dans cette version du blog.


Site Internet des Amis de Rimbaud :


À propos de l'auteur (section reprise de la publication originale) :

Melody Xu Yang est une jeune étudiante chinoise. Elle est arrivée en France à la fin de

l’été 2018, il y a de cela trois ans, elle a aussitôt adhéré à l’Association Internationale des Amis de Rimbaud. À la mi-septembre 2020, elle a lancé la première contre-pétition en ligne demandant le maintien de la sépulture d’Arthur Rimbaud à Charleville-Mézières.



(Photo de couverture d'un livre que je vais mentionner dans l'article ci-dessous)


À l’âge de vingt-quatre ans, je suis sans doute l’une des plus jeunes qui ait été sollicitée pour écrire un article dans la revue Rimbaud vivant. Je remercie de tout mon cœur le président de l’association de m’avoir encouragée à écrire ce témoignage, ou plus exactement à évoquer ce parcours personnel que j’ai maintes fois expliqué dans les conversations, à mon entourage certes, mais également à tous ceux qui se sont intéressés à mon «obsession» pour Arthur Rimbaud, ce poète dont je prononce à chaque fois le nom avec délicatesse et affection.


Ceux qui ont eu l’opportunité de connaître Rimbaud grâce aux textes étudiés au collège et au lycée me posent souvent cette question : «mais, comment est-ce que vous avez rencontré Rimbaud?», question suivie parfois par un compliment, «c’est incroyable que vous l’aimiez autant, alors qu’il n’est pas de votre culture», tout cela accompagné d’autres remarques concernant ma nationalité et de ce qu’ils appellent « ma culture».


Sans prendre mal les choses, je suis toujours très perplexe devant ce genre de propos. Que signifie l’expression même de «ma culture»? À vrai dire, je ne sais pas, j’en ai peut-être plusieurs, ou bien je n’en ai pas du tout : en réalité je parle anglais depuis l’âge de trois ans, mais je ne connais pas pour autant toute l’œuvre de Shakespeare! J’ai vécu en Chine jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, mais mes pensées prennent forme presque toujours en anglais, et depuis quelques années, parfois en français. Au fond, j’ai l’impression d’être une enfant « abandonnée » par toutes les langues et toutes les cultures. Dans ce contexte, j’assume pleinement mon état de «bohémienne», «errant» dans le monde pour trouver, un jour, une sorte d’identité culturelle : dans mon cas on ne sait jamais. Je peux dire aujourd’hui que j’ai trouvé une sorte d’identité chez Rimbaud : une identité «rimbaldienne», ceci dit je me demande si Arthur Rimbaud, refusant toute règle et toute identité définitive, serait d’accord avec ce terme.


Vous attendez sans doute d’une jeune doctorante en lettres une belle histoire évoquant ses débuts littéraires, une enfant touchée par des phrases de Rimbaud telles que «Je est un autre», ou encore «l’amour est à réinventer». Mais le début de cette histoire n’a rien à voir avec la littérature : à l’époque je ne parlais pas un seul mot de français.


Née le même jour que Rimbaud, le 20 octobre, je préparais, au printemps 2014, le bac chinois — j’avais donc dix-sept ans — : quel bel âge! J’habitais à Dalian, ma ville natale, une ville côtière dans le nord-est de la Chine, dont la tranquillité ressemble beaucoup à celle des villes françaises côtières, telle que Dieppe en Normandie. Mon père, sans être littéraire lui-même, encourageait beaucoup la lecture et m’emmenait souvent le week-end au centre-ville pour aller dans une grande librairie d’au moins cinq étages : dès l’âge de treize ans je ne lisais qu’en anglais (poussée par la curiosité, car je me suis depuis rendue compte que tous les romans de mon enfance n’étaient, en réalité, pas écrits en chinois), à l’époque il était impossible de trouver ce genre de livres dans les petites librairies indépendantes de mon quartier.


Ce jour-là je ne savais pas encore que cette petite sortie littéraire allait changer ma vie !


Comme d’habitude mon père m’avait «déposée» aux rayons des livres en anglais avant d’aller faire les courses : il connaissait sans doute de bonnes épiceries en centre-ville. Libérée temporairement de mes devoirs quotidiens de Terminale, j’étais heureuse comme un oiseau sorti de sa cage, ou bien plus exactement libérée des devoirs de mathématiques — feuilleter des livres en anglais était l’un de rares bonheurs pour moi —, car parmi toutes les matières du lycée, je n’étais vraiment douée qu’en anglais.


J’ouvre ici une petite parenthèse pour mieux faire comprendre mon parcours : dans ma région en Chine, lorsque j’étais adolescente, les enfants bilingues étaient rares et il n’y avait quasiment pas de jeunes polyglottes, c’est tout à fait normal, parce que le chinois est une langue qui n’a pas d’équivalent : je veux dire par là qu’il n’y a pas de langue structurée de la même façon; même à l’écrit les Chinois ne comprennent pas forcément le japonais et vice versa. En Licence, ceux qui veulent apprendre une langue étrangère autre que l’anglais ont le choix de commencer dès le niveau grand débutant et s’y maintenir pendant quatre ans pour atteindre le niveau intermédiaire, voire avancé : pour beaucoup, il s’agit de la première fois qu’ils découvrent une troisième langue puisque seul l’anglais est enseigné de l’école primaire au lycée dans la plupart des cas.


Ce jour-là, le « shopping » de mon père semblait avoir pris plus de temps ; je commençais à m’ennuyer puisqu’il n’y avait pas un seul roman qui me plaisait. J’ai décidé alors de jeter un coup d’œil dans les recueils de poésie pour voir si je pouvais trouver quelque chose dans cette littérature jugée parmoi «très sérieuse» : après tout, j’étaisgrande lectrice des romans YA (Young Adults, romans qui parlent de la vie des adolescents, souvent d’une écriture très moderne), mais jusqu’alors je ne lisais pas de poésie.


Et soudain j’ai vu cette merveille — je place ici la photo de ce recueil de poésie puisqu’elle est très parlante —, elle montre le visage d’un beau garçon qui semble avoir mon âge.


Je n’ai jamais été amoureuse, pas dans la vraie vie en tout cas : le premier grand amour de ma vie était Peter Pan, personnage du roman du même nom écrit par l’auteur écossais James Matthew Barrie, un garçon sans âge puisqu’il ne peut jamais grandir. Mais d’avoir le même sentiment pour quelqu’un qui existe réellement : quelle drôle d’idée !


Mais cette fois-ci c’était différent, j’avais l’impression que le garçon me regardait en même temps que je le regardais, et qu’il m’invitait à ouvrir le livre (je n’en suis plus sûre aujourd’hui !). Il m’a fallu un peu de temps avant de réaliser qu’il ne s’agissait pas d’une photo de jeunesse de l’auteur destinée à attirer les lecteurs, mais d’une photo du poète, qu’il s’appelait Arthur Rimbaud et qu’il était français, photographié à l’âge où il avait écrit. Et le fait que c’était une édition bilingue français-anglais : je ne pouvais pas non plus espérer savoir soudain parler français grâce à ce beau visage.


J’ai fini par acheter le recueil lorsque mon père était enfin de retour. Rentrée à la maison, j’ai rapidement fait la recherche sur Internet (ce n’était pas un bon réflexe, puisque les informations sur l’auteur sont bien présentées dans le livre).


«Mais on est nés le même jour!», ai-je crié en anglais ou en chinois, à vrai dire je ne m’en souviens plus exactement, et cette phrase suivie par de nombreux « oh my God ! (oh, mon dieu !)» : telle était alors ma réaction. D’après Internet et le livre (j’avais le besoin de vérifier, car c’était quand même surprenant), mon nouveau prince charmant est bien né le 20 octobre 1854 et a ainsi, jour pour jour, cent quarante-deux ans de plus que moi, née le même jour en 1996. Quelle coïncidence! Et ce simple fait m’a poussée à lire ce qu’il a écrit, en anglais bien sûr. Un peu plus tard, j’ai pris la décision de poursuivre mes études en Licence en choisissant la langue française, cela à Pékin, capitale de la Chine : jusque-là j’avais hésité entre le français et l’espagnol, mais grâce à Rimbaud et à un groupe de jeunes chanteurs français, j’ai fait mon choix.


Les deux premières années de ma Licence n’étaient pas vraiment «rimbaldiennes», cela même si j’avais pris l’habitude de tester de temps en temps mon niveau de langue en utilisant le précieux recueil bilingue. Je me souviens avoir fait de grands progrès durant la troisième année : cette année-là nous avions un cours d’introduction à la littérature française, et j’ai fait un exposé sur Rimbaud. En même temps je réfléchissais à mon futur sujet de mémoire de fin d’études, ainsi qu’à ce que j’allais faire en Master.


On dit que la lecture des biographies est une expérience «magique» : sans connaître l’auteur dans «la vraie vie», nous avons la possibilité de faire sa connaissance grâce à une biographie bien écrite. C’était le cas pour moi : si, au début, j’appelais Rimbaud «notre poète», après une lecture, voire une «overdose» de lecture de biographies, j’ai commencé à l’appeler «Arthur» — le niveau de familiarité a alors bel et bien changé. Vers la fin de la troisième année de ma Licence, je n’avais qu’un seul but : écrire un mémoire sur Arthur Rimbaud et poursuivre ensuite, en France, un Master Lettres pour continuer les recherches sur mon auteur bien aimé.


J’ai fini par obtenir une mention Très Bien en Licence et j’ai pu ensuite être acceptée par l’université Paris-Diderot (aujourd’hui université de Paris après la fusion de deux universités) en Master Lettres. Je ne m’attarde pas sur le cliché classique de l’étudiante chinoise arrivant en France pour ses études et vivant désormais seule et confrontée au «choc culturel», tout simplement parce que de mon côté l’histoire ne s’est pas déroulée ainsi. Bizarrement, j’ai moins ressenti ce «choc» à Paris qu’à Pékin.


En général, on adore (au moins pour certaines personnes que je connais, en France comme en Chine) les histoires où le personnage principal travaille dur pour atteindre son but, on se plaît alors à imaginer une vie étudiante difficile en France, puisque, « comment est-ce que tu peux te sentir vraiment à l’aise dans un pays qui n’est pas le tien», me demandent ces gens-là sans méchanceté. Mais ceci m’agace quand même, car je ne réfléchis pas comme eux. Je suis peut-être, moi aussi, «sans cœur», parce que je n’ai jamais ressenti un dépaysement tel que celui que ressentent beaucoup d’étudiants chinois, même si mon pays d’origine me plaît beaucoup : je suis même convaincue que c’est grâce à Rimbaud que je me sens moins seule, lui étant pour moi presque une figure de frère. Je me souviens avoir beaucoup ri avec une amie, en disant que si Charleville était en Chine, j’y retournerais tout de suite !


Ô Charleville, ô Charleville-Mézières. Je prononce le nom de cette ville avec le sourire et le terme «carolomacérien. ne» avec une certaine fierté parce qu’il fait partie des mots que je connais, mais que mes amis français ne connaissent pas forcément — drôle de façon pour «booster» une certaine confiance en soi — mais cela donne aussi quelque chose de très intéressant à leur raconter. Mon premier voyage de Paris à Charleville a eu lieu le 20 octobre 2018, environ un mois et demi après mon arrivée en France. Ce trajet qui commence depuis la gare de l’Est (ancienne gare de Strasbourg à l’époque de Rimbaud) est désormais devenu une habitude : depuis deux ans je l’ai fait huit ou neuf fois et à chaque fois, c’est comme si je rentrais chez moi !


Les années de Master à Paris se sont bien passées, avec deux mémoires qui ont consisté à étudier les œuvres de Rimbaud; «monsieur Arthur Rimbaud» trouverait, à coup sûr, son nom dans les remerciements ! L’automne dernier, je me suis inscrite en doctorat, avec, bien évidemment, Rimbaud pour auteur étudié. Il est drôle de dresser ce constat : Rimbaud qui n’aurait, à mon sens, absolument pas souhaité cela se trouve bien malgré lui pris «en otage» dans des établissements publics et culturels, tels que l’université, il s’y trouve désormais étudié par tant de personnes passionnées. Aurait-il voulu être ainsi «étudié, scruté, analysé»? Cette pensée me rend triste, je n’aurai pas de réponse et je ne l’aurai jamais; mais après tout, l’étudier, c’est aussi une façon de perpétuer sa mémoire.


Qui est Rimbaud pour les rimbaldiens ? D’ailleurs doit- on toujours oser utiliser cette appellation? À cette question on trouverait mille réponses. Les recherches universitaires permettent- elles vraiment de connaître Rimbaud? À cette question je n’ai qu’une réponse : non ! J’ai discuté l’autre jour avec un ami, qui m’a dit qu’il «ne comprend pas comment on peut écrire sur Rimbaud», et qu’«écrire sous est peut-être plus juste»! Je pense qu’il a raison : ce n’est pas parce que nous parlons autant de Rimbaud que nous le connaissons vraiment mieux et que nous pouvons nous placer « au-dessus» de lui. Sur ce point je note que la langue française possède également de nombreuses subtilités, il paraîtrait donc plus juste d’écrire «au sujet» ou «à propos» de Rimbaud plutôt que «sur» Rimbaud, ce qui peut effectivement laisser penser que l’on se place au-dessus de lui.


Mais «ne pas connaître ou ne pas bien connaître» l’œuvre du poète n’est pas vraiment une mauvaise chose en soi; au contraire, c’est cela qui fait rêver et imaginer. À vingt-quatre ans, je me dis que j’ai encore beaucoup à apprendre ; à quatre-vingts ans, je dirais la même chose. N’est-il pas magnifique de lire et relire Rimbaud ?


Je voudrais terminer mes réflexions en citant ces quelques lignes écrites après avoir obtenu l’attestation de réussite au diplôme de Master : «Qu’est-ce que cela signifie d’être née le même jour que ton auteur étudié, de l’aimer, de souffrir avec lui et de l’aimer encore plus, cela pour finalement obtenir une attestation de réussite au diplôme ? C’est bien de “l’amour fantomatique” c’est la « campus love story » (histoire d’amour sur le campus) à sens unique, mais ce n’est pas seulement cela, c’est donner ton temps à un être qui ne te connaît pas, mais qui continue de t’inspirer; c’est de jouer avec le temps, c’est d’avoir cet espace sacré entre la vie et la mort.»


Que cet amour dure pour toujours !

Melody Xu Yang







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